ROMAN. Né d’aucune femme, de Franck Bouysse

Bouquiner
Marianne Taillibert - 26 juin 2020

« Mon nom c’est Rose, c’est comme ça que je m’appelle, Rose tout court » .
Rose nous livre son histoire à travers ses cahiers sauvés de son tragique destin par Gabriel, le jeune prêtre.

Née d’une famille paysanne de quatre filles, vendue pour quelques pièces à l’âge de 14 ans par son père à un riche propriétaire, elle devient l’esclave de maîtres d’une rare cruauté. L’histoire de Rose se passe quelque part dans la campagne française de la fin du XIXe , dans ce monde rural où la beauté n’existe pas car on est avant tout dans l’utilité.

Les chapitres de ce roman polyphonique s’alternent en donnant voix à tour de rôle aux protagonistes de l’histoire. Les uns nous saisissent par leur lumière, les autres par leur noirceur. Ainsi le maître et la reine-mère, un couple maudit, un monstre à deux têtes ; Onésime, le père rongé par le remords ; « Elle », la mère de Rose, toute à son devoir ; Edmond, le palefrenier, un personnage vide sans identité, « Toute ma vie, j’aurai failli être un homme » ; et Rose qui malgré les horreurs subies dans sa vie, va garder la tête haute ; Rose qui ne peut lutter à armes égales mais que rien ne parviendra à l’asservir.

Né d’aucune femme, c’est le récit d’une femme debout. Une femme que les mots sauvent : « Au moins, les mots, eux, ils ne me laissent pas tomber. Je les respire (…) (…) Les mots, j’ai appris à les aimer tous, les simples et les compliqués (…) La musique qui en sort souvent est capable de m’amener ailleurs (…) Je les appelle les mots magiciens : utopie, radieux, jovial, maladrerie, miscellanées, mitre (…) Ils sont de la nourriture pour ce qui s’envolera de mon corps, quand je serai morte, ma musique à moi ».

Né d’aucune femme interroge la destinée. « Ce moment où tout aurait pu commencer si le moment qui a suivi avait pas tout détruit » (…) « Pas un seul homme n’est en mesure de maîtriser la vie quand elle le traverse » (…) Gabriel lui-même, l’homme de foi, vient à douter du pouvoir de Dieu à forger les destins sans quelque préférence.

Oui, ce roman est noir, terriblement noir, à la limite parfois du soutenable. Franck Bouysse caresse l’innommable, creuse la figure du mal sans pour autant la rendre tolérable. Son écriture est instinctive, elle happe, elle tape direct au cœur, sans préavis. Ce roman ne se lit pas, il se vit comme une expérience extrême.

UN BILLET ÉCRIT PAR
MARIANNE TAILLIBERT

Au grand jour. Diplômée en communication publique, exerçant depuis plus de 20 ans dans la communication au service des musées et des acteurs du patrimoine, Marianne Taillibert, a le goût des mots. Dans les projets et les propos qu’elle défend, où les siens, toujours justes et efficaces, se singularisent par une tonalité qui lui est propre. Sa petite musique est bonne à entendre : « Je ne fais sans doute pas ce métier par hasard, confie Marianne Taillibert. L’écrit y est incontournable pour diffuser, valoriser, inviter… »

Marianne Taillibert

Son jardin secret. Elle aime « la compagnie des personnages, l’empreinte des lieux et des paysages ». « Une lecture peut me donner la bougeotte, dit Marianne Taillibert. Ainsi la trilogie écossaise de Peter May m’a conduite un printemps dans les Hébrides extérieures... De l’ailleurs imaginé à l’ailleurs parcouru : j’aime quand ces filiations se créent ». Cette grande lectrice de romans avoue « lire souvent d’une traite et souvent plusieurs livres du même auteur à la suite. Les lectures s’ajoutent. J’aime cette complétude ». Relire ? « Je ne me l’interdis pas », explique celle qui le fait (parfois) poussée par « la curiosité de comprendre ce qui a pu laisser une telle empreinte dans mes souvenirs ». « Au mieux, on retrouve avec émotion ce qui nous a touchés, avec plus d’acuité ; au pire on lit autrement, on découvre une autre histoire. »

Ses trois livres cultes. Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar, Un barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras, Belle du seigneur d’Albert Cohen.

Né d’aucune femme, de Franck Bouysse.
Éditions La Manufacture de livres, novembre 2018.
336 pages. 20,90 euros.

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